Faire vivre le souvenir de Jean Claude

J’étais le « camarade de classe » de Jean-Claude il y a vingt ans, quand il avait encore le malheur d’enseigner le français à des gamins un peu étonnés de leur professeur si peu conventionnel et déjà si attachant.

Il souffrait surtout de la promiscuité avec une incroyable armée de femelles féroces qui, toutes ensembles, comme un seul homme dirais-je, haïssaient en lui son apparente faiblesse, et bien plutôt ce qu’elles soupçonnaient qu’il s’y trouvait : une sensibilité, une tendresse aux choses, de la fragilité et enfin, le plus intolérable de tout, une âme pure, celle du poète, trop libre pour ne pas être crucifié.

En fait, sa littérature, qu’il faisait discrète à l’époque, ne m’intéressait pas beaucoup. Je crois je n’y comprenais goutte. Par contre, le personnage m’amusait beaucoup, me faisait vraiment beaucoup rire, en particulier lors de mes visites dans ces châteaux de la MGEN, maisons d’enfermement pour alcooliques qu’il fréquentait assez régulièrement et où je le visitais avec beaucoup de plaisir. Nous trouvions à ces maisons et leur décor décati de maison de petits maîtres du siècle dernier, un air irrésistiblement romantique. Au moins, lors de ses cures, était-il à l’abri des harpies du collège et de quelques autres dangers du monde extérieur.

Je crois que j’étais réciproquement un de ceux qui l’ont fait le plus rire dans sa vie… et à la fin de celle-ci, quand je l’ai retrouvé à Paris après vingt ans d’absence (je vivais à l’étranger) pendant ces semaines où, en tombant par terre, s’est révélée la maladie qui lui a été fatale…

J’étais alors de nouveau très présent à ses côtés jusqu’à ce que, quelques semaines avant la fin, je réembarque - je suis marin, voyez-vous -, et que nous nous quittions sans plus jamais nous revoir… et pourtant un billet de train l’attendait pour un transport vers l’île de Torchello que nous lui avions fait aimer.

Je crois que, dans ces derniers mois, je l’amusais de nouveau assez bien pour que nous ayons plaisir, souvent avec mon épouse, à être presque tous les jours ensemble, en particulier lors de ses séjours à l’hôpital, moi lui payant des colonnes de Saint-Émilion comme autant de montgolfières de bonheur, qu’il fallait cacher à la cupidité des médecins à l’heure de la visite ; lui, « crachant sa vie avec des mines à mourir de rire », en nous rappelant de bons souvenirs, des souvenirs d’amitié.

C’est à ce moment qu’il a commencé avec la fébrilité et la passion qu’on lui connaît à nous couvrir de poèmes, plus ou moins inspirés, et surtout des pages de son dernier roman. Il les écrivait la nuit ; on les avait le lendemain sur l’ordinateur à bord de Galileo, notre bateau qui est resté tout l’hiver mouillé à l’ancre dans la lagune vénitienne… Le connaissez-vous ? il s’intitule : Les fabuleusement extraordinaires péripéties et périlleux périples de Pauline à travers l’Alaska.

G.D., mars 2013