Correspondance de Jean-Claude Demay

Échange de janvier 2012 avec des amis, alors que Jean-Claude Demay vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer avancé.


Notre ami, mon ami,

Par le silence de ton téléphone hier soir, nous avons cru devoir comprendre la triste vérité qui est désormais tienne : tragique nouvelle qui signifierait que l’échéance de la vie pourrait être désormais plus proche, beaucoup plus proche que pour ceux de tes amis qui restent à l’extérieur de ce cercle de vie qui est le tien, si injustement rétréci peut-être.

Pour toi, face à la chute du verdict tombé, brutal : la légitime colère, le dégout, la peur associés devant l’inconnu trop proche.

Je n’aurai pas l’outrecuidance d’écrire : « je te comprends », je « partage » ce moment de désespoir… Non ! personne ne peut comprendre le non-sens de cette fatalité qui s’abat jusqu’à nous contester le droit de vie… personne ne peut prétendre partager ta douleur et cette peine, celles-ci t’appartiennent et tu es seul dans ton cercle pour un voyage qui n’est, ne sera jamais qu’à toi-même, vers toi-même peut être ?

… Ce que tes amis peuvent dire : c’est qu’au-delà du dégout, il est préférable d’accepter, accepter vite ce rétrécissement du possible, afin de ne rien gâcher de ce qui reste, qui est rare si rare et dont il faut alors profiter en y retournant dans l’urgence avant qu’elle « passe » la vie !

Retourner à celle-ci , retourner à ton cercle pour lui rendre toute l’intensité de vie joyeuse, fertile, dansante qui a été celle du poète à laquelle tu dois encore croire avant que le trop faible diamètre du cercle ne t’étouffe, ne nous étouffe tous, puisque, pour chacun d’entre nous, notre destin est commun : après la vie plus de vie.

Sa rareté probable nouvelle fait désormais pour toi, à toi, son étincelante richesse, vis-la comme je sais que tu l’as toujours vécue, avec toute l’intensité, l’intériorité, les fêlures et les passions du poète… la lumière, les couleurs, la finesse des émotions et la générosité aux hommes qui sont les tiennes… et que je te reconnais !

Retourne à la vie dans toute son intelligence et accepte-en les mystères, après il sera bien tard, trop tard, et alors il ne te resterait que le pire : les haïssables regrets.

S’il te plait, Jean Claude, décroche de nouveau ton téléphone.

Amitiés

Gabriel et Christine


Mon ami, mes amis,

Tout à fait génial ce mail !!! Il m'a ému aux larmes (de joie), tant il dit en de très belles phrases dont on ne peut changer un seul mot l'essentiel de l'existence, tant il définit merveilleusement le charme de la vie même au moment où elle devient si fragile, tant il émane d'admirables amis à la profonde intelligence et à l'extrême sensibilité qui trouvent les mots justes d'une fulgurante simplicité et d'une authentique empathie. De toute ma vie, c'est la plus belle lettre d'amitié que j'ai jamais reçue, elle me bouleverse et m'aide considérablement dans sa vérité à oublier totalement ma maladie. Très rares sont les êtres capables d'écrire de si sublimes et réconfortantes lignes. Je lis et je relis, je relirai souvent ce texte qui désormais m'accompagnera en quelque lieu que j'aille et quelle que soit ma trajectoire future. Pour tout dire, ce fragment de très haute poésie m'a fait découvrir l'univers.

Après tout, il me reste votre écriture que j'emporte dans mon coeur.

Toute mon amitié.

Jean-Claude